Le Pape fera de la résistance

Save the date : 25/10/15

« Les médias ont donné, les médias ont repris », s’exclame le Job post-moderne de mon imagination. “Ils ont en effet”, pourrait-il continuer, “trois activités favorites, trois spécialités qui font la puissance de leur rôle” :

1) Porter les individus au pinacle.

2) Les clouer au pilori.

3) Construire des récits médiatiques (narratives en anglais), ce qui englobe généralement les activités 1 et 2.

Considérez le pape François. Diligemment, on l’a porté au pinacle : il était la personnalité de l’année 2013 selon le magazine Time, et pourtant il n’avait encore quasi rien fait. Et quoique l’extravagance de sa folle couverture médiatique se soit apaisée, il conserve une image universellement favorable.

C’est certain, son ascension découle partiellement de la bonté de sa personne : voyez-le doux avec les petits, joyeux avec les fidèles, franc avec les journalistes. Décidément, François est humble de cœur. Mais trop à l’ouest est celui qui prétendrait que son image n’est pas également – et partiellement – construite pour seoir au Récit. Le récit selon lequel François est le grand réformateur de l’Église, à laquelle il sectionnera un bout de son talon pour qu’elle enfile enfin la chaussure progressiste du XXIe siècle – comme aux demi-sœurs de Cendrillon dans le conte de Grimm, qui désespèrent d’être ignorée du prince, alors qu’enfin, l’identité des femmes nécessite-t-elle un mari ?

François pilote en effet dans le sens du récit (qui pourrait oublier son interrogation magnifique « Si une personne est homosexuelle et cherche l’Église, qui suis-je pour la juger ? », ou bien son zèle à dératiser la Curie ?), mais il persiste à se montrer plus complexe qu’une idée de « Pape progressiste ». Alors, combien de temps soufflera le vent de la presse en faveur de François ?

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Crédits : Rolling Stone magazine

À vrai dire, les récits médiatiques qui encerclent les papes comme les bulles des jeux vidéos – annulant toute perturbation extérieure – se comptent sur deux doigts de la main : soit vous êtes le bon pape, le papa sympa qui vient parler d’un amour aussi universel et insaisissable que les antennes radios sur lesquelles il s’exprime, soit vous êtes le pape de la réaction, inexpugnable frein, qui, pourtant, dérape. Le Rottweiler de Dieu ! En voilà un sobriquet qui claque comme un million de bottes à Nuremberg. C’est celui de Benoît, son prédécesseur. De lui, on retient une citation patiemment débauchée sur la contraception ; de lui, on oublie l’évidente humilité, la touchante timidité, l’authentique bonté. Des Pradas rouges pour l’éternité ! Bien que ça n’en soit pas ; bien que la couleur rouge rappelle le sang des martyrs qui ont construit l’Église. Pour le luxe, Benoît repassera.

Combien de temps, disais-je, avant le retour de l’ennuyeuse malveillance ?

J’annonce solennellement la date : encore sept mois, jusqu’au 25 octobre prochain.

Ce sera, en effet, le jour de la clôture de la seconde session du Synode sur la famille – c’est-à-dire la réunion des évêques devant aider François à adapter l’application pastorale des enseignements de l’Église vis-à-vis des familles.

Un grand nombre d’observateurs, un certain nombre de fidèles et un petit nombre d’évêques espèrent qu’enfin, enfin, le pape prouvera sa bonne volonté en modifiant le Magistère sur un point crucial : l’admission à la communion des personnes divorcées et remariées. Aujourd’hui, l’Église considère qu’elles sont en position d’adultère, puisque ces personnes ne respectent pas les vœux de leur précédent mariage réputé indissoluble. Depuis le pont des Reviens-t’en, cette réforme est amoureusement attendue pour deux grandes raisons : 1) parce qu’elle signifiera la victoire de la marge progressiste romaine ; 2) et parce qu’elle démontrera avec éclat que les enseignements de l’Église sur la sexualité peuvent changer, quoiqu’en disent les conservateurs.

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Crédits : The New Yorker

Ainsi, la ratification de cette admission pressera la détente du revolver réformateur : organisons mille rencontres sur la contraception, les relations pré-maritales, le mariage des prêtres, la régularisation des couples homosexuels : l’Église a soixante mises à jour de retard ! Veuillez redémarrer votre ordonnateur.

C’est grave docteur ? À vrai dire, c’est incurable. L’Église est foncièrement unique en son genre, puisqu’elle a été instituée non par les hommes mais par le Christ (Mt, 16.18) : Pierre, puis les papes qui l’ont suivi, sont dépositaires plutôt qu’éditeurs de la Parole de Dieu, ils sont intendants plutôt qu’inventeurs. Les apôtres, les évangélistes et les Pères de l’Église ont structuré le Magistère en se fondant sur l’enseignement de Jésus. Allons plus loin : le pape, les conciles et les synodes ne sont pas l’équivalent catholique des trois pouvoirs, d’un squelette de gouvernement qui suit un chemin théologico-politique dont les escales s’imposent aux diverses factions rivales afin de conserver la paix sociale. En un mot, l’Église n’est pas un parti politique dont la ligne doctrinale évolue avant chaque élection.

Alors, admettons que le Magistère modifie le plan du Christ, ancré dans les textes du Nouveau Testament, en rapport au divorce (Mt, 19.6), à l’adultère (Mt, 5.27-28), à la confession (Mt, 16.19) et à la communion (Mt, 26.26-29). Je vois d’ici l’Église se rapetisser en une assemblée délibérante nombriliste, à la recherche d’un consensus irrésistiblement circonstancié, terriblement similaire à tant d’autres chapelles chrétiennes, trop préoccupée par le respect des procédures du débat pour remplir sa fonction de servante des démunis, de soignante des malades et de protectrice des affligés. Qui donc saura se rendre compte que la mission du milliard de fidèles de l’Église visible, c’est d’abord s’occuper de l’autre, du frère – par l’embrasement du monde avec le feu de l’Évangile ? Sans doute, peu de rédacteurs en chef.

À la différence des conservateurs qui s’inquiètent et des progressistes qui s’impatientent, je suis convaincu que le 25 octobre prochain, François ne touchera pas à un cheveu de la doctrine de l’Église, signant ainsi la mort du Récit.

En attendant, je compte bien prendre mon pied en lisant les gros titres.

Merci à p.-e. g.

Bruno de L.

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